L’histoire de nos danses

Femme-Cueilleuse-de-Fleurs a entendu beaucoup d’histoires entourant les danses algonquines. Les sons musicaux des danses ont été essentiels à cette culture. Une histoire décrivait un événement auquel Femme-Deux-Castors-noirs avait rêvé. Pendant qu’elle racontait ce rêve à Gauthier, Femme-Deux-Castors-noirs le dessinait aussi sur de l’écorce de bouleau.

Mon compagnon de vie était en train de chasser dans les boisés. Homme-Castor-noir a entendu une musique qui venait de la cascade et il s’est arrêté pour écouter. Il a tué un serpent et en fait des médecines. Il a tiré une perdrix et trois canards. Il a ensuite tué un cerf et l’a placé dans son canoë d’écorce. Il y avait des fleurs qui s’ouvraient; les jacinthes poussaient partout sur son chemin. Il a piégé un castor, l’a dépecé et en a fait cuire la viande. Il a recueilli la sève d’un érable et a fait du sucre d’érable. Il a trouvé la plante de tabac sauvage, et en a fait de l’encens à fumer dans le calumet de paix. Il a pêché un brochet. Une fois de plus, il a entendu de la musique. Le Soleil brillait dans le ciel, entouré de nombreuses fleurs. Et maintenant, j’ai terminé de raconter mon rêve. (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B325 F.1.)

Femme-Deux-Castors-noirs a également expliqué comment les Algonquins plus âgés dessinaient leurs rêves, légendes et chansons.

Dans les temps anciens, toutes nos chansons étaient représentées sur de l’écorce de bouleau et en langue des signes. Nous enseignions nos chansons à toutes les tribus de langue algonquine. Chaque chanson avait son histoire et elle décrivait nos vies autour de l’habitation en l’écorce de bouleau (pikogan). Il y avait des chansons de danse, de chasse, de guérison, d’amour, ainsi que des incantations et des ritournelles d’enfants. Habituellement, les gens chantaient les chansons de danse au rythme de différents types de tambours ou de hochets. Les Aînés disaient que ces instruments imitaient le cœur, la source du rythme, de la musique et de la vie elle-même. (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B326 F.5.)

Presque tous les peuples autochtones utilisaient des tambours personnels, mais les Algonquins sont allés plus loin. Ils ont créé un tambour spécial pour chacune des quatre directions : nord, sud, est et ouest. Leur mot pour désigner le tambour est similaire à celui que les Cris Eeyou utilisent (taawaahiigan) pour désigner la production d’un son avec un tambour (Stan Loutitt, 2006, communication personnelle). Jacob Wawatie, dans une communication personnelle de 2006, décrit les tambours comme suit :

« Le tambour du nord a toujours été le tambour grand-père : un rondin creux avec une peau tendue au-dessus. Avant que les gens puissent entamer quelque travail que ce soit, ils devaient tendre une membrane sur un rondin creux. C’était le premier, le plus vieux des tambours. C’est pourquoi les Algonquins l’ont appelé le “tambour grand-père”.

Le tambour du sud, le “tambour grand-mère”, comme le tambour grand-père, tirait ses origines d’une époque lointaine. Les gens couvraient un morceau d’écorce de bouleau avec de la peau de castor bien avant d’avoir appris à courber le bouleau. Encore aujourd’hui, ce tambour représente l’Aînée et le sud.

Pour le tambour de l’ouest, la troisième direction, on utilisait un cadre en bois courbé. Il avait deux peaux de part et d’autre. La garniture de prédilection pour ce tewigan (tehwehigan) était fabriquée à partir d’un cœur d’orignal, lorsqu’il était possible de s’en procurer un. On serrait chaque membrane sur un cadre en bois de cèdre à l’aide de babiche d’orignal. C’est le “tambour homme” et il a toujours représenté l’ouest.

Le tambour de l’est, la quatrième direction, a toujours été un tambour creux contenant de l’eau, qui modifiait sa tonalité. Il est beaucoup plus gros que le tambour à eau iroquoien. Il y a longtemps que les gens le surnomment “tambour de pluie” ou “tambour fille”. »

De tout temps, les Algonquins ont aussi confectionné des tambours personnels. Chaque personne algonquine pouvait recevoir un rêve ou une vision lui montrant comment fabriquer un tambour. Le tambour personnel à une peau (tewigan) peut être orné d’os d’orignaux attachés sur le côté du tambour ou installés comme timbre sur la tête pour produire des sons supplémentaires.

Au fil du temps, les artisans ont utilisé divers matériaux pour créer des hochets. Ceux-ci ont toujours joué un rôle majeur dans l’univers sonore algonquin. Le hochet peut émettre plusieurs sons, contrairement au tambour, qui n’en produit qu’un seul. Jacob Wawatie explique que les cailloux ou les grains placés à l’intérieur de chaque hochet produisent des sons différents. Certains hochets sont aussi parfois utilisés comme baguettes pour battre du tambour.

De plus, les Algonquins utilisaient une flûte à embouchure terminale en bois de noisetier dont l’écorce était laissée en place. Cette flûte pouvait produire cinq ou six notes. Les chansons d’amour jouées sur cet instrument ont toujours revêtu une signification particulière. (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B326 F.5.)

Jacob Wawatie explique que certains sifflets ou « sifflets-flûtes » pouvaient comporter un seul trou pour produire un seul ton, ou jusqu’à six trous.

Il est possible que les Algonquins aient utilisé un instrument à cordes avant l’arrivée des Européens. Caponicin, le fils de Femme-Caribou-blanc a raconté à Gaultier un événement qui a eu lieu alors qu’il chassait l’orignal avec Nias-Baptiste au Grand lac Victoria à la source de la rivière des Outaouais.

Soudain, Nias-Baptiste s’est réveillé de son rêve. Il m’a dit qu’il avait rêvé d’une belle chanson d’amour. « Si seulement j’avais un instrument, je pourrais en jouer et t’enseigner ma chanson. » Caponicin est allé dans le sous-bois et a coupé du bois pour faire un violon. Le lendemain, Nias a tué un orignal et, avec la babiche fabriquée à partir du cou de l’orignal, il a confectionné des cordes. Il a tendu les cordes et les a accrochées au plafond de la cabane en rondins. Il a fixé une petite pierre à chaque corde pour lui donner la bonne tonalité. Il a fabriqué la table du violon en bois de pin. Le dos était en érable, fixé à l’aide de colle d’esturgeon. Nias a alors a joué la chanson qu’il avait entendue en rêve, et qui plus tard est devenue connue de tous (les Algonquins). Il a appelé sa chanson : La Chanson d’amour. (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B325 F.5.)

Une autre histoire algonquine concerne l’origine des sept étoiles que les Européens ont appelées les Pléiades.

Il était une fois huit jeunes sœurs qui jouaient dans le sable. Elles chantaient et dansaient une certaine chanson appartenant aux privilèges familiaux, que leur grand-père leur avait interdit de chanter. La cadette les avertit de ne pas chanter ou danser cette chanson, mais elles n’en tinrent aucun compte et continuèrent à danser et à chanter. Tout à coup, une rafale emporta les sept sœurs aînées vers le ciel. [Les Algonquins] croient que, par les nuits très claires, ils peuvent voir les sept sœurs sous la forme d’étoiles attachées l’une à l’autre, se tenant la main et dansant. Il y a un vide dans le ciel : l’une d’elles n’est pas là. « Comme punition, elles resteront là jusqu’à la fin des temps. » (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B325 F.4.)

Une vieille histoire algonquine décrit une chanson que les gens associaient parfois à des mouvements comme la marche ou la danse.

La sorcière avait trouvé un enfant dans les sous-bois. Elle l’avait attaché à son dos dans un porte-bébé, et l’avait enveloppé dans un sac de mousse. Elle frappait le porte-bébé par-derrière avec une branchette d’arbre et tout en marchant, elle chantait : « Main du castor, la main qui guérit avec de l’eau magique, ou la main qui harponne le castor. Ne pleure pas mon petit; nous allons voir ton père qui vit au pays des castors. Dors, wida-amik. » (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B326 F.4.)

Les histoires et les chansons proposaient des explications à de nombreux phénomènes que les Algonquins voyaient se dérouler. Par exemple, en observant la migration des bernaches du Canada, ils chantaient et dansaient la Chanson de la bernache. Cette chanson se traduit comme suit :

« Suis-moi, dit Ni-Ka, le vieux et sage mâle à NINKA, la grand-mère bernache. Viens, déploie tes ailes, et apprends à voler, KWE, KWE, KWE, bébé bernache NIKAS. Quand tes ailes seront plus fortes, ton grand-père, ta grand-mère, ta mère et ton père s’envoleront vers l’Arctique, le pays de la bernache. »

Lorsque vous écoutez la version originale de cette chanson, vous pouvez remarquer qu’elle est parcourue d’un rythme qui imite le mouvement des ailes des oiseaux, qui volent parfois sur la pointe des ailes, parfois toutes ailes déployées. Les gens sifflaient cette chanson ou en chantaient les syllabes au rythme des tambours ou des hochets (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B325 F.4.)

Cliquez ici pour écouter une chanson qui accompagne une histoire à propos du géant WISA-KE-JOK, avec son texte traduit : « Ma grand-mère m’a confectionné ce sac pour glisser. Oh, je suis si heureux! » (Gaultier de La Vérendrye, Juliette, coll. 1-A-160M; B326 F.4.)

Écoutez aussi l’entrevue de Jacob Wawatie, dans laquelle il explique comment cette chanson transmettait, de manière figurée, les connaissances qu’une grand-mère dispenserait et mettrait dans un sac pour qu’une personne puisse les utiliser.

algonquin.interview.wawatie.doc

 

©